En marge de l'exposition de sculptures « l’Annonce faite à Marie », réalisée à Strasbourg par Simone Mayor lors des Noëlies 2005, le professeur Gérard Siegwalt a donné une conférence le 8 janvier 2006 en l'église Saint-Thomas sur « ces messagers du Ciel ». En voici un résumé à partir des notes prises par un groupe d’auditeurs.
Gérard Siegwalt est professeur honoraire de dogmatique de la Faculté protestante de théologie de Strasbourg (FR).
Vous croyez aux
anges !
Les anges, ce n’est pas
quelque chose qui soit évident pour nous, en tout cas pour la conscience
moderne. Les anges, vous en avez vu ? Je ne parle pas maintenant des anges
tels qu’ils ont été représentés, mais des anges, que vous pouvez voir ! On
peut même aller au-delà et dire que Dieu lui-même n’est pas pour nous une
réalité évidente. Dieu, l’avez-vous vu ?
Il y a certes une
différence entre les anges et Dieu. Dieu, c’est le Créateur. Les anges sont des
créatures. Elles font partie de la création qui a deux dimensions : la
dimension visible, nous nous voyons, nous voyons les arbres dehors, les
étoiles, la terre, et la dimension invisible, dont les anges font partie. Les
anges sont des créatures, mais ce qu’ils ont en commun avec Dieu c’est qu’ils
sont invisibles. Ils sont la dimension invisible de la création ; et Dieu est
l’invisible par excellence. Ils sont invisibles, ils ne sont pas de l’ordre de
la vue. Qu’est-ce que cela signifie ? L’invisible, nous n’y avons pas
accès par nous-mêmes, nous en sommes séparés par un voile ! Quelquefois le
voile se lève, l’invisible peut faire irruption. Citons ici une phrase du « Adventskalender
», du calendrier de l’Avent de
2005 : « Wenn wir nicht an Gott glauben, vielleicht glaubt Gott an uns, ja
gewiss!»[1].
Et ce qui est dit de Dieu, nous pouvons l’appliquer aux anges. Vous ne croyez
pas aux anges, les anges croient en vous !
Parlons de la Bible ! et
ce que la Bible nous donne à cet égard est repris dans le Symbole de Nicée[2]
qui est confessé chaque dimanche dans l’Eglise orthodoxe, souvent dans l’Eglise
catholique romaine et dans les Eglises protestantes, (du moins faut-il
l’espérer, lors des grands jours de fête). Dans le premier article de ce Credo,
il est dit ceci : «Je crois en Dieu, le Père, le Tout-Puissant, le Créateur
du ciel et de la terre », et
maintenant vient un ajout que nous n’avons pas dans le Symbole des Apôtres « le
Créateur du ciel et de la terre des réalités visibles et invisibles ». Les « réalités visibles » répondent
à ce que je vois. Les « réalités invisibles » correspondent à la
réalité angélique. Soyez très attentifs à la conjonction « et ». Elle dit
que ces deux dimensions ne peuvent être séparées, mais elles sont imbriquées
l’une dans l’autre, conjointes l’une de l’autre.
Nous comprenons, pour ce
qui est des réalités visibles, le mot de Carl-Gustav Jung, le psychologue des
profondeurs, qui dit : « ce qui est réel se réalise ». Est réel ce qui se réalise, ce qui s’effectue.
Mais la réalité invisible aussi, la réalité angélique est réelle pour nous,
lorsqu’elle s’effectue pour nous, lorsqu’elle s’inscrit dans notre conscience,
dans notre vécu.
Selon Matthieu 1, v.19,
Marie est enceinte, et Joseph n’est pas content. Joseph, son époux, qui est un
homme de bien et qui ne veut pas la diffamer, se propose de rompre secrètement
avec elle. Comme il y pense, voici qu’un ange du Seigneur lui apparaît en songe
et lui dit de prendre Marie chez lui. A ce moment-là, Joseph prend Marie pour
femme. Notons dans ce récit que l’ange est un visiteur de nuit. J’emploie
quelquefois l’expression « mon ange m’a visité cette nuit ». Un visiteur de nuit
qui se présente lors d’un songe. La réalité angélique est donc liée au songe de
Joseph. Nous connaissons l’importance des rêves pour la psychologie des
profondeurs. Lors d’un rêve, quelque chose remonte dans la conscience. D’une
certaine façon dans le sommeil, nous sommes éveillés, sur l’autre versant de
notre réalité, il est vrai, pas sur le versant visible, mais sur le versant
invisible. Dans le rêve, des éléments de notre subconscient ou de l’inconscient
personnel remontent. Mais dans le rêve peut aussi remonter quelque chose que
Carl-Gustav Jung appelle « l’inconscient collectif ». Le
psychanalyste parle « d’archétypes » que nous portons en nous. L’archétype du
père, de la mère, de la sœur, du frère, de l’ennemi, de l’ami… Ces archétypes
sont des données élémentaires qui structurent notre psyché en profondeur et qui
structurent la psyché, l’âme de l’humanité entière, par-delà toutes les
différences de culture, de race, de religion, ou d’expérience. Nous pouvons
dire que, lors de certains songes, les anges nous mettent en relation avec ces
archétypes. Ces données qui nous structurent et nous construisent, ne sont pas
des données statiques, mais des données vivantes qui évoluent tout au long de
l’histoire. Ce sont des données vivantes et vivifiantes ! Pensons à une parole
de Jésus qui est comme un soupirail, à une fenêtre qui s’ouvre, à une image –
dans la foi de l’Église orthodoxe
une icône est une fenêtre ouverte vers le ciel.
Ainsi de cette parole où
Jésus évoque les petits enfants[3], disant : « leurs anges voient
continuellement la face de mon père qui est dans les cieux ». Or cette parole du Christ nous permet de
comprendre que le petit – pas seulement le petit enfant, mais aussi tous ceux
qui sont faibles – vit peut-être dans une proximité particulière à cette
dimension angélique, parce qu’il vit dans une situation de besoin, de besoin
radical, où il est entièrement dépendant d’une autre réalité.
Joseph dort. Dans un
songe, l’ange lui parle et transforme, métamorphose les pulsions de haine, de
vengeance que Joseph ressent en lui-même, de telle sorte que ce qui est
destructeur, ce qui tend à être démoniaque – les anges, c’est l’autre face des
démons — se trouve transformé en une force créative. Voilà ce dont Joseph est
ici le témoin. En tout cas, l’ange concerne le présent de Joseph et lui ouvre,
alors qu’il pense être devant une fin, un chemin de vie, un chemin
d’accomplissement.
Venons-en au récit de
l’évangéliste Luc. Dans le 1er chapitre se trouve mentionné un ange
qui vient annoncer à Zacharie la naissance de Jean le Baptiste. Cet ange, nous
le retrouvons à l’annonce de la naissance de Jésus à Marie : c’est Gabriel.
Soyons attentifs à ce nom
Gabriel. On dit en général
qu’il est l'homme de Dieu, le fort de Dieu. Et c’est bien cela :
« geber « , un
homme, l’homme viril sexuellement. C’est très concret, littéralement
: Dieu est ma virilité , il est ma force virile. Alors on peut
traduire tout simplement «Dieu est ma force ». Il y a vraiment cette notion de
virilité dans le sens d’une maturité qui peut engendrer.
Petite remarque d’ordre
étymologique. Ange, vient du grec « angelos » qui signifie messager.
L’équivalent hébreu « maleak » a le même sens, et du coup nous sommes tentés, à
cause de cette étymologie, de restreindre la notion d’ange à celle de messager.
Gabriel est la manifestation par excellence de l’ange messager. Gabriel incarne
une réalité qui dépasse son propre nom. Il est le messager, mais tous les anges
ne sont pas de cette catégorie-là. Alors laissons la définition de l’ange
ouverte à d’autres facettes.
Car Gabriel n’est pas le
seul ange évoqué dans la Bible. C’est Denys l’Aréopagite – un théologien du VIè
siècle – qui a établi dans la hiérarchie céleste une graduation de neuf degrés
d’anges. En tout cas, les anges sont en grand nombre, ils sont une myriade de
myriades, est-il dit dans le livre de Daniel comme dans l’Apocalypse de Jean.
Lors de l’annonce aux bergers, les anges qui chantent sont une foule
immense : soudain, il se joignit à l’ange une multitude de l’armée
céleste louant Dieu et disant : Gloire à Dieu dans les lieux très hauts, et
paix sur la terre parmi les hommes qu’il aime. (Luc 2, v.13).
L’ange Gabriel est
mentionné ici dans un contexte d’anges qui ne sont pas des messagers : ils
chantent la louange de Dieu. Voilà une autre facette de la réalité angélique,
celle qui est tournée vers Dieu. Il en est de même en Esaïe 6 où le prophète
voit les séraphins louer Dieu comme nous le faisons lors de la célébration de
la sainte Cène : «Saint Saint est le Seigneur des Armées, la terre est
remplie de sa Gloire ».
Cette louange des anges,
cette louange autour du trône de Dieu (l’Apocalypse en parle aussi), peut-être
que les grecs l’évoquaient en parlant de la musique des sphères célestes.
Peut-être cela peut-il nous effleurer ici ou là, lorsque nous parlons d’une
musique, d’une mélodie que nous entendons en nous. Peut-être la joie
quelquefois peut-elle être ressentie comme cette conjonction entre le ciel des
anges - dont la joie est grande
lorsqu’un pécheur se repent- et la dimension visible.
Les
quatre visages de l’ange
Nous avons parlé
jusqu’ici essentiellement de Gabriel, l’ange de l’Annonciation, l’ange messager
par excellence, qui a toute une cohorte d’anges autour de lui. Tout cela relève
évidemment de l’imaginaire, mais cette cohorte d’anges signifie qu’il
intervient partout et toujours sans limites, non seulement en Israël, non
seulement dans l’Église, mais partout. Et tous les êtres humains sont d’une
certaine façon au bénéfice de cette réalité angélique ainsi conçue.
Mais d’autres anges sont
nommés dans la Bible, et je voudrais rapidement les parcourir.
Michaël, un combattant, dont le nom est une
question : « qui est comme Dieu ? ». Il lutte pour l’unicité de Dieu. Il est
l’archange d’Israël[4] et plus tard
de l’Église. Il se manifeste, sans être encore nommé, dès les temps
reculés !
Ainsi lorsque le peuple
et Josué[5]
se trouvent devant Jéricho, « voici, un homme se tenait devant lui debout », « je suis le chef de l’armée du Seigneur » et il demande à Josué d’enlever ses chaussures,
car le lieu où il se trouve est saint. Dans le livre de l’Apocalypse[6],
« il y eut une guerre dans le ciel, Mikaël et ses anges combattirent
contre le dragon » qui
représente la réalité destructrice. On peut penser là à la lutte dans notre inconscient
entre l’ange constructeur et le dragon destructeur. En effet, la dimension de
l’invisible est ambivalente: la réalité angélique exprime chaque fois le
triomphe sur la réalité démoniaque, ceci dès la Genèse[7].
La force en nous veut être « récapitulée » face au Créateur.
Raphaël dont le nom signifie « Dieu guérit » est nommé dans le livre de Tobie. Tobie
rencontre l’amour, la sexualité et l’ange Raphaël l’accompagne, comme aussi le
démon Asmodée. Raphaël est l’ange accompagnateur, guérisseur sur le chemin de
la croissance, il est celui qui fait la cure d’âme dans les temps de crise
personnelle.
Uriel veut dire « Dieu est ma lumière ». Il est l’archange du séjour des morts,
qui accompagne le défunt à l’heure de la mort. Je suis content de savoir que cet
accompagnateur existe (il n’est qu’un visage de Dieu) lors de ce passage que
nous appréhendons.
Pour conclure, nous
pouvons dire que chaque ange de Dieu peut avoir ces quatre visages. Avec eux,
nous sommes en présence des quatre âges de la vie : Gabriel, celui de la
naissance, Raphaël de l’adolescence, Mikaël de l’âge adulte, des combats, Uriel
de la vieillesse.
Mais ces quatre aspects
de la vie nous accompagnent tout au long de notre existence : nous
naissons tout au long de notre existence, nous connaissons tout au long des
temps de crise, de métamorphose, de contact aussi où il en va de la vie et de
la mort de notre être profond, a mort est un compagnon de tous les jours.
Est-il approprié de
croire aux anges ? Ils ne sont pas de l’ordre de la foi, mais de l’ordre de
l’expérience, du vécu, mais pour lequel il faut avoir la clé. Même les textes
bibliques qui évoquent des anges sont des textes d’expérience. Les anges
veulent nous aider à nommer notre propre vécu. L’ange est toujours l’ange de
Dieu, créature de Dieu, et manifestation de sa force. Disons-nous toujours que
si nous ne croyons pas en Dieu, Lui, il croit en nous, et les anges sont des
visages de Dieu.
Gérard Siegwalt
[1] « Si nous ne croyons pas en Dieu, peut-être Dieu croit-il en nous, oui certainement !»
[2] Le Symbole de Nicée date de 325. Il a été complété à Constantinople en 381, c’est pourquoi il est appelé Credo de Nicée-Constantinople.
[3] Matthieu18, v.10
[4] Daniel 10, v.13 +21 ; 12, v.1
[5] Josué 5
[6], Apocalypse 12.
[7] Genèse 1, v. 2