Simone Mayor et ses anges

 

Simone Mayor est une belle femme. C’est la première chose qui me vient à l’esprit quand je pense à elle. La sensation immédiate de beauté qu’on ressent en sa présence ne vient pas de la régularité de ses traits ou de l’équilibre de ses proportions, mais de sa joie, dont on voit l’implosion récente dans ses yeux quel que soit le moment où l’on la rencontre, et de sa curiosité enfantine, donc pas gênante, cependant pas innocente, par rapport à son interlocuteur.

Les sculptures de Simone Mayor lui ressemblent: ce sont de belles oeuvres, légèrement penchées comme pour s’approcher des autres, renfermant un sourire plus ou moins facile à deviner.

De nationalité suisse, Simone Mayor a commencé le travail de la céramique à Montreux, au milieu des années ’70, ensuite elle a passé à la sculpture, en étudiant à Lausanne et en Allemagne, à Freiburg-in-Brisgau et à la Kunstakademie de Berlin. Après plusieurs expositions de céramique dans le canton de Vaud, elle a exposé des sculptures en terra cotta ou en bronze dans d’autres cantons suisses, à savoir Fribourg, Neuchâtel, Genève.

En décembre 2005, deux expositions de sculptures réalisées par Simone Mayor ont été présentées à Strasbourg. La première, à l’église Saint-Thomas, a rassemblé sous le titre Annonce faite à Marie une trentaine de pièces représentant l’ange Gabriel suivi d’une cohorte d’anges et s’adressant à Marie pour lui annoncer qu’elle este enceinte du fils de Dieu. Marie et Gabriel ont été placés au centre de l’église, à côté de l’autel, tandis que les anges ont occupé chaque côté de la nef, leurs regards étant dirigés vers Marie. Les sculptures, hautes de 60 à 120 cm, modelées en terre cuite de couleur noire, blanche ou rouille et pigmentées dans toute une palette de gris, de beiges et de roses, ont été fixées sur des tiges métalliques, en suggérant ainsi l’appartenance des anges à l’espace intermédiaire d’entre le ciel et la terre.

La deuxième exposition de Strasbourg, mise en place à la Banque CIAL, a réuni Des Marie et des anges travaillés en bronze, qui ne dépassent pas 50 cm.

Je ne suis pas critique d’art, je ne saurais pas me prononcer sur la place de Simone Mayor parmi les autres artistes suisses ou européens. Pour moi, Simone est surtout une très bonne amie connue grâce à l’Opération Villages roumains, à laquelle elle a pris activement part – ce qui dit déjà long sur sa manière de concevoir les relations avec les autres – et dont le jardin de Maracon, peuplé d’esprit et d’esprits, où l’on pénètre en sautant par la fenêtre du living-bibliothèque, la représente aussi bien que ses sculptures. J’ose exprimer naïvement quelques observations sur les créations de Simone Mayor seulement parce que je sens qu’elles me disent quelque chose. Une oeuvre artistique n’est pas créée pour les critiques, n’est-ce pas?, mais pour l’artiste lui-même et pour des gens comme moi, qui prennent le temps de la regarder et qui en attendent des questions ou des réponses.

Si l’on regarde attentivement les sculptures de Simone Mayor, la première tentation est de les comparer à celles d’Alberto Giacometti, et la raison, évidemment, n’est pas l’origine suisse des deux artistes, mais l’air filiforme des figures debout, une certaine insouciance du respect des rapports d’échelle et l’angoisse de la matière qui s’efforce de prendre vie. En plus, il y a dans les deux cas une expression de l’essence, un refus du superflu. À mon avis, les ressemblances s’arrêtent là. On a souvent affirmé que Giacometti a réalisé après 1940 des sculptures écrasées par l'espace et l'atmosphère qui les environnent, de vrais squelettes montrant la réalité au-delà des apparences. Or les sculptures de Simone Mayor, loin de se laisser écraser, meublent l’espace, le remplissent de voix, soulignent la multiplicité des apparences de la réalité. Ses gracieuses Marie sont autant d’attitudes, autant d’interprétations possibles, autant d’options. Elles ne cherchent pas la vérité, elles la connaissent déjà, et malgré l’inquiétude que cela leur provoque, elles vivent pleinement.

Quant aux anges de Simone Mayor, l’une des affirmations trouvées dans le merveilleux livre d’Andrei Pleşu leur va à merveille: «Les anges relativisent la solitude de l’homme de même qu’ils relativisent la solitude de Dieu. Ils sont, par définition, ceux qui accompagnent, qui nous sont proches.»[1]

L’ange de 2,60 m sculpté en bronze par Simone Mayor pour la façade principale de l’église de Lachapelle-sous-Rougemont (France), dédiée à Saint-Vincent, reflète le mieux, d’après nous, l’esprit de l’artiste, sa façon de comprendre et de rendre les rapports entre le céleste et le terrestre. L’ange sculpté est généreux, attentif, accueillant. Certainement, il n’est pas seul, vu qu’il attend les autres. Il est serein parce qu’il a trouvé sa place et sa fonction entre deux mondes – son emplacement le prouve plus que rien d’autre.

D’ailleurs, l’emplacement des sculptures de Simone Mayor met en valeur leur charme. Après avoir gagné, en 2005, un concours dans le cadre d’un projet intitulé Sous la ligne bleue - Les chemins d’art et de promenade du Pays Sous-Vosgien, Simone Mayor a exposé trois sculptures au milieu de la nature. C’étaient Les esprits de l’étang: la Princesse, Le Prince et la Grenouille, des oeuvres qui réveillent dans ceux qui les regardent les souvenirs des contes de fées de l’enfance et créent la sensation du miracle vécu. Une princesse hiératique, un prince vaillant et une grenouille espiègle: que pourrait-on espérer de mieux pour notre habitat?

En fait, la séduction exercée par les sculptures de Simone Mayor réside justement dans leur capacité de combler les vides qui nous entourent. Elles imprègnent l’espace de poésie et de bienveillance.

 

Simona Manolache, août 2006 



[1] Andrei Pleşu, Despre îngeri, Bucureşti, Humanitas, 2003, p. 259 (notre traduction)